Faut l’dire, on s’ennuie ferme aujourd’hui : m’dame la surveillante m’a dit d’être sage, elle m’a collé dans la chambre avec des crayons et du papier. J’ai colorié les nuages qui grisonnaient dans le parc de l’orphelinat de Savonne. Et pis, je me suis ennuyé ferme ferme ferme. Boby, mon copain, s’est fait la malle hier. L’est pas bête Boby, il a senti le vent tourner. C’est pas une période à être dans un orphelinat, le début du printemps. Les parents, ils viennent plus nous voir, ils mettent les sous dans les vacances, ils profitent du soleil. Ils visitent pas des morveux comme moi, qui font plein de bêtises, qui traînent et qui glandent dans les rues, les poches trouées, et qui s’ennuient toujours ferme ferme ferme. Faut l’dire, j’ai posé mes crayons et pis j’ai pensé très fort. J’aurais dû suivre Boby, voilà ce que je me disais. Moi aussi, profiter du soleil et pis du sable et de la mer et du vent. L’est pas bête Boby, il sait comment attirer les adultes qui n’ont pas d’enfant. Il leur fait le regard mouillé de l’orphelin et paf, il a des cookies plein les poches trouées quand on traîne et qu’on glande dans les rues. J’ai envie d’une glace, goût caramel ou chocolat. L’envie monte monte monte plus je m’ennuie ferme ferme ferme. Faut l’dire, je me suis fais la malle moi aussi. J’ai ouvert la fenêtre de ma chambre. M’dame la surveillante m’a dit d’être sage comme les autres, sages dans leur chambre, avec des crayons et pis du papier et pis des nuages de couleur. Y a personne dans le parc dehors : l’occaz, elle est trop bonne. Alors, même si ma chambre est très très haute, au 1er étage et demi, dans le couloir à côté des chiottes qui puent et de la salle de jeux qui fait du bruit, à côté de Boby qui s’est fait la malle et qu’est pas bête du tout, j’ai sauté de la fenêtre et paf dans les fourrés. J’ai pas peur moi, comme Boby et j’suis pas bête non plus, j’ai couru vite vite dans le parc jusqu’à la forêt, j’ai slalomé entre les arbres et j’ai trouvé le trou dans le grillage qu’on a découvert Boby et moi, pendant l’hiver. Il fait beau maintenant, j’ai franchi le grillage et quand je suis arrivé dans les rues de Savonne, j’ai pas traîné et j’ai pas glandé, les poches trouées. J’ai cherché Boby, pis des parents sans enfant qui s’émeuvent des yeux mouillés des enfants sans parent, pis le marchand de glaces au goût caramel ou chocolat. Faut l’dire, le problème c’est qu’on s’ennuie toujours ferme ferme ferme. J’ai pas trouvé Boby, ni de parents, ni de glaces. Alors, je me suis fatigué au port de Savonne j’ai pris du soleil dans les cheveux et le goût de la mer sur la langue. Je me suis fatigué au port et pis voilà, je me suis ennuyé d’un coup, parce qu’il n’y avait plus rien à faire maintenant à part rentrer à l’orphelinat. Qu’aurait-il fait Boby ? L’est pas bête, il aurait fait quelque chose de tout cet ennui. Faut l’dire, c’est là que je les ai vu. Promis-juré, un drôle de groupes de personnes qui marchaient presque à la que-leu-leu et qui avaient l’air un peu perdu comme moi. L’un d’eux, il mangeait une glace, promis-juré elle était sûr de sûr au caramel. Je les ai suivi, pendant qu’ils se promenaient dans tout Savonne, dans le port et pis dans le centre ville et pis dans l’église et pis sur les plages. Partout, je les ai suivis. Ils m’attiraient, allez savoir pourquoi, ça venait peut-être de leur têtes et de leur habits, tous différents. Y avait moyen sûr de sûr de se glisser parmi eux et de ne plus s’ennuyer ferme ferme ferme. Faut l’dire, j’ai fait une très grosse bêtise. C’est m’dame la surveillante qui va pas être contente. C’est que j’ai suivi le groupe de gens différents de retour au centre ville et du centre ville jusqu’au port, et du port jusqu’à un ponton, et du ponton jusqu’à une passerelle qui tremblait et de la passerelle jusqu’à un bateau, im-mense. Il était tellement grand, il y avait tant d’endroits où jouer, tant de recoins à découvrir, que j’ai oublié le port et pis l’orphelinat et pis Savonne. Alors quand le bateau s’est fait la malle lui aussi, j’étais encore sur son pont en train de jouer à cache-cache avec les membres de l’équipage. Et voilà comment j’ai regardé le bateau partir et pis s’éloigner, loin loin loin de Savonne et de l’orphelinat. C’était vraiment une très grosse bêtise. Mickaël « Micky » Apasdenomdefamille.