LETO

Le bateau fait escale pour la journée. Bastia. Je ne sais rien de cette ville, je crois. Mais je descends, l’air frais pourra peut-être réveiller mon esprit embrumé. L’atmosphère me semble étrange, bondé de touristes habillés comme des Indiana Jones de fêtes foraines. Le vieux port, et la place qui lui succède, me paraissent infranchissables. J’avance pourtant. Je dois me réveiller. J’ai besoin de bouger, de comprendre, de me rappeler et d’avancer. Me vient alors une étrange idée, l’envie de me recueillir, de m’adresser à l’insoupçonné. Je ne sais pas si je suis croyant mais ça vaut le coup d’essayer ! C’est étrange de se souvenir, de comprendre ce qui m’entoure, sans être capable de me rappeler qui je suis, ce que je suis. Je demande à des commerçants qui m’indiquent la cathédrale Sainte-Marie ou l’Église Saint-Jean. Mais j’ai envie d’intimité, de recueillement, comme si c’était possible dans une usine à touriste. J’opte pour une chapelle, on me parle d’un escalier sacré, c’est peut-être un chemin. Foi, instinct, souvenirs fuyants, je ne sais pas mais j’y vais. En chemin, je me souviens de la faim et j’attrape quelques trucs à grignoter. La chapelle n’est pas très loin, un peu plus d’une demi-heure à mon pas incertain. Je croise mon reflet dans une vitrine, mon pire ennemi, celui que je connais mais ne reconnais pas. Il y a quelques heures encore je m’étais enfermé dans ma cabine à le regarder fixement dans l’espoir qu’il me réponde. Personne n’aurait pu me faire sortir avant qu’il ait parlé, même pas à la force des baïonnettes… foutu Mirabeau. Marrant ce souvenir, je ressens comme une affinité avec la Révolution, l’histoire de France, sans que je puisse mettre le doigt exact sur ce lien. Peut-être que je suis professeur d’histoire ? ou comédien ? Je me verrai bien brandir l’épée pour monter à l’assaut de la Bastille et libérer mes frères républicains en devenir ou bagnards assumés. J’accélère le pas, je rêvasse, je fantasme sur le mystérieux regard croisé d’une belle Corse et me surprend à m’imaginer en train de négocier une belle dot avec son père sourire brillant, flingue à peine dissimulé. Je presse encore le pas mais la « librairie papi » attire mon attention. En façade, une fausse fenêtre faisant office de présentoir, propose plusieurs ouvrages fatigués par le soleil. Mon regard s’attarde sur une œuvre d’Herbert comme oubliée dans un angle de la vitrine à moitié cachée sous une pile de papier correspondance. Leto, un prénom intéressant, je l’adopte. Je serai Leto.

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