MICKAEL (MICKY)

Dans le bateau, il a fallu se faire tout petit. J’ai de la chance, dans le fond, ce truc qui navigue est immense : il y a plein d’endroits où se cacher. J’ai trouvé un coin où dormir, sous un canot de sauvetage, rien de bien méchant. Quand on traîne comme Boby et moi dans les rues de Savonne, on sait se faire des endroits douillets. Je n’ai pas trop pensé à ma situation, les dames de l’orphelinat ne viendraient pas me chercher avant un moment, j’étais le genre de gosse à fuir à tout bout de champs. La nuit, je me suis fait mon petit nid dans le canot et le matin j’ai regardé les côtes se rapprocher à nouveau. Drôle de bateau, dis donc, qu’il passe plus de temps à quai que sur la mer. Enfin, comment rester inaperçu, c’était ça la grande question ? Boby me l’aurait posé cent fois. Que disaient les dames déjà ? Je me suis souvenu qu’il fallait avoir l’air propre. Quand j’étais à l’orphelinat, je lavais mes mains avant le repas, avant de dormir et après avoir pissé. Il fallait se nettoyer le visage une fois par jour et le corps une fois par semaine. Ce n’est pas bien compliqué. Dans le bateau, j’ai lavé ma figure aux toilettes jusqu’à que l’eau soit grise et mes joues rouges, j’ai décrassé mes mains et j’ai souri au miroir triomphant. A répéter tous les jours. Ensuite, je me suis souvenu qu’il ne fallait avoir l’air ni de traîner, ni de glander. C’est les flics qui m’ont attrapé une fois qui me l’ont appris. Dans le monde des gens, on doit rester occupé, on ne rêvasse pas le nez en l’air, on ne joue pas avec les ombres. Les flics, ils étaient très clairs : les mioches comme Boby et moi, on ne squatte pas l’espace public avec nos gueules sales et nos poches trouées, on circule vite-vite. Dans le bateau, j’ai respecté cette règle religieusement : j’ai fait en sorte de ne jamais rester en place, je l’ai parcouru en long, en large et en travers, avec l’air toujours affairé. Ça a été du gâteau. Enfin, je me suis souvenu de pas avoir l’air abandonné. C’était le plus dur : les gens dans le monde n’aiment pas les orphelins, m’avait déjà dit Boby. C’est parce qu’on est mal élevé et qu’on fait trop de bêtises. Les dames me traitent souvent de voyou, à monter toujours aux arbres, à sauter des fenêtres et à me bagarrer. J’ai toujours un pansement quelque part sur le tronche. Moi, je trouve que ça me donne du style mais, sur le bateau, hors de question d’avoir l’air si vaurien. J’ai arraché mon pansement et j’ai appris à me glisser derrière des adultes de façon à se qu’on me croit toujours accompagné. Je sais bien qu’il y a des employés du bateau qui me regardent un peu de travers, c’est leur boulot d’éloigner les pique-assiettes. Mais je n’ai pas peur moi, et dès qu’ils ont le de dos tourné, je lance une main, pfiou, et je déguerpis avec mon repas dans la bouche. Ça ne vaut pas une glace de Savonne, mais enfin, il faut bien faire avec ce que l’on a.

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